Dans “Captain Fantastic”, Viggo Mortensen est un père pas comme les autres, qui éduque ses enfants à sa façon avant d’être mis face à ses contradictions. L’occasion, pour l’acteur, de nous parler d’éducation et du succès mondial du film.

La rumeur veut qu’il ait refusé le rôle de Zod dans Man of Steel. Et ça n’est pas avec Captain Fantastic que Viggo Mortensen fait son entrée dans le monde des super-héros sur grand écran, comme nous l’explique l’acteur au moment d’évoquer le long métrage de Matt Ross, récompensé à Cannes et Deauville, son titre mystérieux et ses thèmes. Dans la vidéo ci-dessus et l’interview ci-dessous. En français dans le texte.

AlloCiné : Considérez-vous le fait d’être parent comme un acte héroïque ?
Viggo Mortensen : Si on le prend au sérieux, oui. Mais plein de parents préfèrent dire “non”, sans autre justification que le fait qu’ils soient les parents. Et c’est plus facile que la façon d’être père de Ben : il ne dit pas “non” mais “je ne crois pas, laisse-moi expliquer”. Même si l’on n’est pas d’accord au final, le sujet a été discuté. Je sais que c’est plus difficile et compliqué, mais c’est beaucoup mieux. Et c’est, pour moi, le modèle.

Et même si, de temps en temps, Ben devient un peu arrogant, intolérant ou rigide, la base de cette famille, de ce modèle, est bonne pour moi. Car les liens de cette famille reposent sur l’unité, la complicité, la curiosité et le respect mutuel. Il est bon de ne jamais mentir aux enfants, même s’il y a des moments extrêmes et choquants, drôles parfois, quand il parle du sexe ou de la mort avec le plus petit. Il parle de la même façon et utilise le même langage avec chacun des enfants. Je ne suis pas d’accord avec l’idée que ce soit un acte héroïque, mais il me semble bon de toujours dire la vérité aux enfants.

Avez-vous été un père de substitution avec les jeunes acteurs qui jouent vos enfants sur le plateau ?
Un peu oui, et à la fin du tournage ils m’ont appelé “Summer Dad”, ce qui signifie “Père d’été” ou “Père de vacances”. La première fois qu’ils l’ont fait, j’ai regardé leurs parents qui étaient là, en leur demandant si ça leur allait. Et ils m’ont dit que oui, donc c’était un grand honneur (rires)

C’est bon signe quand un film provoque toutes sortes de réactions

Qu’est-ce qui vous a le plus attiré chez ce personnage complexe et aux nombreuses facettes ?
Son voyage intérieur. C’est psychologique et subtil, et c’est un beau défi pour un comédien que de jouer ce type de rôle. En tant que père, il m’est arrivé de me rendre compte que j’étais sur la mauvaise voie, ou que mon fils n’avait apprécié ou accepté que ce que je lui avait donné. Quand les parents mettent toute leur énergie dans quelque chose qui n’est pas respecté, c’est difficile d’accepter ça.

Dans cette histoire, Ben consacre tout son temps et toute son énergie à ses enfants. Mais dès qu’il se rend compte qu’il n’est pas sur le bon chemin, c’est très difficile à accepter. Il y a donc une transition compliquée qui commence avec le road-trip [à la moitié du récit, ndlr], lorsqu’ils abandonnent la forêt, car les plus petits n’avaient jamais connu d’autres enfants avant, et leur apprentissage avait majoritairement été théorique. Il se termine donc lorsqu’ils sont exposés aux autres, et c’est l’occasion d’une remise en question de leur éducation et des idées que Ben leur a apprises. Ce dernier perd, peu à peu, le contrôle de la situation, et j’aimais l’idée de ce voyage.

Le film a beaucoup voyagé dans le monde et reçu des récompenses dans divers pays et festivals, notamment à Cannes et Deauville en France. Êtes-vous surpris que son succès soit aussi mondial ?

Le succès mondial de "Captain Fantastic" vu par Viggo Mortensen

Avez-vous eu le sentiment que le public réagissait différemment selon les pays, vu que l’éducation n’est pas la même partout ?
Non. Quand, dans le film, j’évoque le fait que les enfants boivent du vin en France, ça n’a pas tant fait rire les Français. Mais à part ça, j’ai écouté les réactions dans les différents endroits où nous sommes allés : les pays scandinaves, l’Irlande, la Grande-Bretagne, le Mexique, le public américain, cannois… Le fait que les spectateurs soient face à une histoire intéressante a provoqué toutes sortes de réactions, partout où nous sommes allés. Le film a une valeur universelle et je pense qu’on peut le comprendre partout. C’est vraiment ce que j’ai vu et ressenti en écoutant.

Et les spectateurs restent après la projection : pas seulement pour te voir ou demander une photo, mais pour parler, évoquer leurs familles respectives, raconter des souvenirs que le film leur a rappelés, dire qu’ils ne sont pas d’accord avec certains aspects de l’histoire. C’est bon signe quand un film provoque toutes sortes de réactions, et ça marche partout.

Le fait d’avoir été dirigé par un réalisateur qui est aussi acteur vous a-t-il encore plus donné envie de passer derrière la caméra ?
Sa façon de préparer les tournages et de travailler calmement et intelligemment avec son équipe et ses comédiens m’a fait penser à Cronenberg. C’est le modèle et la façon de faire du bon cinéma. Et si je peux faire un film, je veux le faire de cette façon. Mais le fait que Matt Ross soit lui-même acteur ne veut pas dire qu’il va nécessairement faire du bon travail avec les comédiens.

Tout dépend de l’acteur : si tu es du genre à préparer le personnage chez toi et arriver pour attendre et espérer que les autres vont s’adapter à toi, ça n’est pas forcément utile, car tu ne t’intéresses pas au travail des autres. Mais si tu es quelqu’un comme Matt, qui aime le jeu, se prépare très bien et arrive sur le plateau pour jouer mais aussi s’imprégner des réactions des autres pour grandir dans son rôle, c’est mieux pour tout le monde.

Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Paris le 4 octobre 2016