Lauréat d’un César pour la bande-originale des “Chansons d’amour”, Alex Beaupain est cette année membre du jury du 44ème Festival de Deauville. L’occasion de parler avec lui de cinéma, et de musique de films. Forcément.

Cette année, le jury du 44ème Festival du Cinéma Américain de Deauville compte quatre comédiennes, trois réalisateurs, une romancière et un auteur-compositeur-interprète. Et pas des moindres puisque ce dernier n’est autre qu’Alex Beaupain, complice de Christophe Honoré avec qui il a fait huit longs métrages et un court, et remporté un César pour Les Chansons d’amour en 2008. Il n’est alors pas étonnant que la musique arrive très vite dans la discussion lorsque l’on parle de films avec lui.

AlloCiné : Vous souvenez-vous du film avec lequel vous avez découvert le cinéma américain ?
Alex Beaupain : Je pense que c’est à la télévision, forcément. Dans les années 80 quand j’étais enfant et que l’on regardait “La Dernière séance”, présenté par Eddy Mitchell. Mes premiers souvenirs ce sont donc des westerns, des films d’aventure et de cape et d’épée. Je pense que le premier dont je me souviens, ce doit être un film de John Ford avec John Wayne. Il y a aussi des films hollywoodiens des années 50, et plutôt des films d’action. Et quand on est enfant, il y a évidemment les Walt Disney. Je crois que le premier que j’ai vu, c’était Blanche-Neige, mais ma sœur me soutient que c’est Rox et Rouky. Donc un des deux.

Quel est votre film américain de chevet ?
Il était une fois en Amérique de Sergio Leone – ce qui tombe bien par rapport au thème, puisqu’il y a “Amérique” dans le titre. Pour le film mais aussi beaucoup pour la musique d’Ennio Morricone, qui est vraiment ma bande-originale préférée, et l’un de mes disques préférés aussi. Quand je l’ai vu pour la première fois, je devais avoir 15 ans, et je l’ai revu une bonne quinzaine de fois depuis. Quand on aime profondément un film, on se dit qu’on le connaît par cœur à chaque fois qu’on le voit, mais on a beau connaître l’enchaînement des scènes, il me paraît impossible de commencer à regarder un film que l’on aime sans aller jusqu’au bout.

Et celui-ci possède ce truc qui fait que, malgré la durée, c’est extraordinairement bien écrit, monté, émouvant. C’est vraiment mon film américain préféré. Une leçon de cinéma parfaite, du point de vue de la narration et de la façon dont c’est fait. Et puis la musique, encore une fois, qui me bouleverse, ou le fait que ce soit l’un des rares films de gangsters où on les voit enfants. C’est l’autre aspect du film que je trouve original et assez émouvant. Je ne suis pourtant pas fou de Sergio Leone, mais celui-ci m’a profondément marqué.

Il était une fois en Amérique Bande-annonce VO version restaurée 2015

Le fait d’être artiste musical vous rend-il plus attentif à la musique et même au rythme d’un film lorsque vous en regardez ?
J’essaye de m’en détacher. Mais c’est toujours le même problème, quel que soit le métier que l’on fait, surtout quand le métier en question implique de voir des films ou des concerts : il faut essayer de retrouver une espèce de naïveté face aux films. Si l’on commence à réfléchir aux aspects techniques et à la façon dont c’est fait, on rate le premier truc qui est important, à savoir le fait de se laisser emporter par une émotion. C’est quand même handicapant quand la musique est très bonne, car je ne peux plus penser à autre chose qu’au thème, à la façon dont il revient. Ou quand elle est très mauvaise. Les musiques du milieu ne sont pas parasites quand je regarde un film.

Avez-vous le sentiment qu’il y aujourd’hui moins de thèmes musicaux forts qu’il y a quelques années au cinéma ?
Un peu. Et je pense, sans vouloir tout analyser, que cela vient du travail mené par David Lynch et Angelo Badalamenti. Il y avait des thèmes musicaux forts dans leurs films, mais ils ont profondément infusé un truc, avec tout ce principe des atmopshères, des grondements… Il y a ensuite eu toute une vague où l’on faisait plus du “sound design”, de l’atmosphère, que lorsque l’on avait des thèmes et mélodies très fortes.

Moi je me considère avant tout comme quelqu’un qui écrit des chansons plus que des musiques de films, mais quand je vois un film avec un thème fort, cela peut beaucoup me toucher. Mais il y en a moins aujourd’hui, même si cela va revenir car il s’agit de périodes, de modes. Et sans rien dévoiler d’autre, il est amusant de voir des films indépendants ici, et de constater que nous avons un genre de musique qui est souvent le même : des nappes, des accords, mais peu de mélodies en fait.

Cela viendrait aussi des premiers montages faits avec des musiques temporaires dont le compositeur s’inspire ensuite puisque cela fonctionnait bien avec. Et tout finit alors par se ressembler.
Techniquement c’est quelque chose qui existe. Travailler en amont d’un film sans en avoir les images, je trouve ça compliqué. En plus je lis très mal les scénarios donc je n’ai pas l’imagination de ce que cela peut devenir, même avec des gens que je connais très bien. Je force alors les gens avec lesquels je travaille à ne pas faire un “tracking” [utilisation de musiques temporaires, ndlr] : on se retrouve toujours avec un réalisateur qui aime tellement ce qu’il a monté et posé dessus que l’on est quasiment obligé de faire un simili-plagiat du truc et cela devient moins intéressant. Mais c’est un écueil difficile à éviter. Et le fait que tout s’aplanisse et devienne un peu pareil est peut-être dû à cette technique employée aujourd’hui.

Il faut essayer de retrouver une espèce de naïveté face aux films

J’imagine que vous aimez la comédie musicale…
Énormément ! Plus que tout. C’est l’un des genres que je préfère.

Et un film en particulier ?
Si l’on parle de “musical” purement américain, Chantons sous la pluie. On parlait d’Il était une fois en Amérique, celui-ci doit être en deuxième ou troisième position de mes films préférés. Je le trouve absolument parfait, de la même façon que celui de Leone. Il y a un enchaînement, tout est formidablement agencé. Et je suis plus Gene Kelly que Fred Astaire, que j’aime bien mais que je trouve un peu trop chic. Alors que Gene Kelly a un truc athlétique. Et comique.

Fred Astaire le fait plus sur un registre un peu british, alors qu’il ne l’est pas du tout, mais il a ce truc d’être un peu plus chic. Pour moi Gene Kelly est un mec avec une casquette, Fred Astaire avec un haut-de-forme, ce qui change un peu les choses. Et il y a une dimension acrobatique chez Gene Kelly, même en-dehors des films non-musicaux. Il n’y en a pas beaucoup mais dans Les Trois Mousquetaires de George Sidney, il y a ces duels et notamment le premier où il fait face aux trois. C’est une vraie stupéfaction, et même des cascades extrêmement modernes quand on voit ce qui est fait aujourd’hui dans les films d’action avec ces trucs très chorégraphiés. Je pense qu’il était le premier à proposer cela.

Chantons sous la pluie Bande-annonce VO

Quelles sont vos trois bandes-originales préférées ? Ou les deux qui vont avec celle de “Il était une fois en Amérique” ?
La deuxième c’est quelque chose de très français : la musique, très connue aussi, de Georges Delerue pour Le Mépris. Il n’y a pas grand-chose en réalité, quatorze minutes de musique seulement, car les thèmes reviennent énormémement et sont presqu’utilisés comme des samples, ce qui était déjà assez moderne comme idée. Il y a notamment le thème de Camille, avec ces cordes. Je l’ai entendu pour la première fois à 15 ans et je l’ai immédiatement acheté car ça m’avait calmé.

J’aime aussi beaucoup les réalisateurs qui travaillent à long terme avec des compositeurs, et j’adore l’association entre Tim Burton et Danny Elfman. J’adore Batman, le défi ou leur comédie musicale L’Étrange Noël de M. Jack : les chansons sont extraordinaires et je pense que c’est l’un des rares films où la version française est quasiment aussi bonne, pour moi, que l’originale. Pour la version française ils avaient pris des chanteurs qui n’étaient pas fatalement ceux que l’on prenait pour chanter dans les Disney, donc on a des voix qui ne sont pas aussi caractéristiques de ce truc américain, très technique. Donc ce serait ça ma troisième bande-originale préférée.

Envisagez-vous d’écrire ou jouer pour le cinéma, en sachant qu’il y a déjà un peu de jeu dans vos concerts entre les chansons ?
Non, je suis très mauvais acteur. Cela m’est arrivé, notamment chez Christophe [Honoré] qui m’a parfois donné une silhouette, une figuration dans l’un de ses films. Le seul où j’apparais vraiment c’est Les Chansons d’amour, mais je chante, donc je ne suis pas en position de jouer, je suis au piano. Mais dès que je suis devant une caméra ou en position de jeu, c’est une catastrophe. Et écrire un film encore moins. Je sais où mes compétences s’arrêtent (rires) Écrire avec quelqu’un, en revanche, pourquoi pas. Je réfléchis d’ailleurs à un spectacle musical sur scène. Cela m’amuserait mais il faut soit que je le fasse avec quelqu’un, soit que j’adapte quelque chose qui existe déjà.

Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Deauville le 4 septembre 2018