De notre envoyé spécial à Tokyo,
Ce sont les zones mixtes les plus dures à faire. Quand l’athlète arrive les yeux rougis, qu’on sent la digue prête à lâcher au moindre mot, mais qu’il faut lui demander comment il se sent. Mal, on sait. C’est con, mais il faut bien commencer par quelque chose. Samir Aït Saïd est arrivé vers nous meurtri, lundi, après sa quatrième place aux anneaux. Blessé juste avant Londres en 2012, victime d’une terrible double fracture tibia péroné en qualifications à Rio en 2016, il avait promis de revenir pour décrocher une médaille à Tokyo.
Modèle d’abnégation, le gymnaste est revenu, et a même été désigné porte-drapeau pour la cérémonie d’ouverture en compagnie de Clarisse Agbegnenou. Mais il a échoué dans sa mission. Son corps l’a lâché, encore. Inconsolable, il se livre, et nous, on ose à peine le relancer. Parce qu’il n’y a rien d’autre à faire que de l’écouter. Du coup on vous le retranscrit comme ça, brut. La gorge un peu nouée, on le reconnaît.
« C’est difficile… C’est difficile… Parce que déjà je la mérite, cette quatrième place. C’est difficile parce que je n’ai pas pu m’exprimer comme je le voulais. Je me suis fait mal il y a trois jours au biceps, j’ai arrêté de m’entraîner, je pensais que je n’aurai pas mal aujourd’hui avec l’adrénaline, mais en m’échauffant j’ai senti que c’était impossible. On m’a demandé si je voulais être forfait [long silence, les larmes lui viennent…] Non, c’était mort. Je pensais que ça allait péter. Tant qu’à faire, je préférais que ça pète pendant la finale. C’était inconcevable de baisser les bras, d’abandonner. Je sais pas comment j’ai fait [pour exécuter son programme]. Je sais pas… Je pourrais pas le refaire. Je suis fou, parce que je pensais que ça allait péter sur les anneaux, et malgré ça j’y suis allé. J’ai pas pu m’exprimer à 100 %, ça fait chier [larmes à nouveau]. Je pouvais faire quelque chose, je pouvais gagner [il sert le poing].
Si je suis maudit ? Non, je ne suis pas maudit. Je vais gagner à Paris et je ne serai pas maudit. C’est mort, je vais gagner à Paris. Je vous ai dit que j’allais revenir à Tokyo et que j’allais claquer ma médaille, je suis revenu, je ne l’ai pas claquée, je suis au pied du podium. Quand je parle je ne parle pas dans le vent, sinon je préfère me taire, c’est mieux. Aujourd’hui, c’est la place que je mérite, c’est comme ça, je me méritais pas d’être médaillé, pas avec ce que j’ai fait.
Je m’en fous de la médaille du courage, c’est bien, mais ce n’est pas pourquoi je m’entraîne tous les jours. J’ai charbonné, vous n’avez pas idée à quel point. J’ai travaillé, pfiiiiou, ça a été dur, très dur. Certains ont cru en moi, d’autres non, je me suis arraché, j’ai fait des sacrifices. Franchement, j’en ai chié.
Mais je finirai pas l’avoir cette médaille, c’est sûr et certain. Je serai chez moi, dans mon pays, dans ma ville, je prendrai le Graal. Vous ne savez pas de quoi je suis capable pour avoir cette médaille. Je suis capable de tout, même de faire un mouvement aux Jeux olympiques avec un bras que je n’arrivais pas à lever. C’est n’importe quoi, je ne sais pas comment j’ai fait. Mon kiné m’a fait un garrot. Un garrot…
J’avais pas le choix. Je ne pouvais pas abandonner, ce n’est pas moi. Je n’abandonne pas : soit je perds, soit je me fais mal, mais je ne m’avoue jamais vaincu. Et je ne pouvais pas, en finale olympique, dire “je ne peux pas”. Mes adversaires ont vu que j’avais un souci, mais c’est pas grave, j’ai fait quand même. Je n’ai pas fait mon taff, c’était de ramener une médaille, et je suis quatrième. Mais c’est pas terminé, croyez-moi. »
C’est dit avec une telle détermination que tout le monde en reste sans voix. Un sourire, quand même, et puis Aït Saïd s’en va. Il reviendra.
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