Cécile de France et Izia Higelin s’aiment devant la caméra de Catherine Corsini (“Partir”) pour “La Belle Saison”, actuellement en salles. Un film lumineux sur l’homosexualité dans les années 70, mêlé au combat féministe…

“La Belle Saison” est très ensoleillé, très lumineux. Votre précédent film “Trois mondes” était lui, en revanche, très sombre… 

Catherine Corsini : Je me rends effectivement compte que je construis mes films les uns contre les autres. Dans Partir, il s’agissait déjà d’une histoire d’amour, très forte, qui se déroulait dans le Midi, donc très ensoleillée. Trois Mondes était évidemment plus urbain, plus glacial. De nouveau dans La Belle Saison, c’est la nature, mais mélangée à la ville, c’est beaucoup de paysages et de chaleur. Et je voulais des personnages éminemment sympathiques, auxquels on puisse vraiment s’identifier. Je voulais des héroïnes énergiques, vaillantes, positives. 

Avez-vous mis du temps avant de trouver l’endroit parfait pour tourner les nombreuses scènes extérieures ?

J’ai tout de suite su où je voulais tourner : je viens de Corrèze donc c’est le Limousin que j’ai choisi sans hésiter. J’avais envie d’une France qu’on connaît moins. Valonnée, avec beaucoup de  verdure. J’aime cette atmosphère. Elle a baigné toute mon enfance, j’y passais toutes mes vacances. Je connais bien la qualité de cet air, ces cours d’eau, ces forêts, ces grands espaces de moisson. Et j’étais contente de faire partager tout ça avec mes actrices, au risque des fois de les décevoir. Je leur avais dit que l’eau de la rivière était merveilleuse ! Elles n’étaient pas franchement d’accord avec moi. Il faut dire que l’on a tourné l’été dernier, il ne faisait pas extrêmement chaud. 

Pensez-vous que l’histoire d’amour entre ces deux femmes serait vécue différemment aujourd’hui à la campagne ?

Des choses ont changé. J’étais dans le Perche ce week-end et on m’a dit que la moitié des habitants de cette ville-là étaient homosexuels. Alors évidemment, ce sont des Parisiens qui s’y sont installés. Mais il y a une cohabitation qui se fait et il y a moins d’ignorance. Ce que je montre dans le film, c’est que la mère incarnée par Noémie Lvovsky réagit à la nouvelle de l’homosexualité de sa fille comme si elle n’avait pas eu conscience jusque là que ça existait. Aujourd’hui, cela me semble difficile de l’ignorer même si ça ne veut pas dire que c’est encore accepté partout.

A quoi ressembleraient ces héroïnes en 2015 ?

J’ai réfléchi à ça, et j’ai eu un début de réponse avec le film documentaire Les Invisibles, où l’on suit la vie d’homosexuels de la campagne qui avaient 20-30 ans dans les années 70. Je vois Carole comme une grande militante advitam eternam, avec des projets plein la tête. Je vois Delphine continuant à travailler dans le milieu agricole, avoir sa ferme, avec un grand sens du collectif. Je voulais montrer aussi en quoi les luttes aujourd’hui sont sources d’angoisse. A l’époque, il y avait de l’espoir. C’est ce qu’elles transmettent.

On fait encore peu de films sur l’homosexualité féminine, il y a eu récemment “La Vie d’Adèle” évidemment, et le vôtre, dans une optique plus populaire. C’est quelque chose qui vous dérange et qui vous a décidé à vous lancer ?

Ma réfléxion a été qu’il y avait beaucoup de films sur l’homosexualité masculine qui m’avaient plu et marqué comme Le Secret de Brokeback Mountain ou Maurice de James Ivory, mais aucun équivalent pour les femmes. J’ai commencé à écrire quand j’ai vu le film d’Abdellatif Kechiche que j’ai trouvé magnifique et qui m’a impressionnée au point de me demander si j’allais continuer le mien. Et puis je me suis dit que j’étais légitime, que j’étais une femme, et puis qu’il n’y avait pas de raison qu’il y ait un seul film qui traite du sujet. Il y en a eu d’autres avant, mais plus sur des adolescentes. Il y aura bientôt le film Carol de Todd Haynes, que l’on m’avait proposé il y a quelques années d’ailleurs, j’avais beaucoup aimé le livre mais j’avais envie d’écrire quelque chose qui me parle plus et qui soit plus énergique dans son combat. 

Vous aviez déjà évoqué l’homosexualité dans certains de vos travaux passés. Mais jamais de manière aussi frontale. Vous n’y arriviez pas ou vous ne vouliez pas ?

Je crois que c’est venu récemment, cette envie. Je suis plus libre dans ma tête aujourd’hui. Peut-être que c’était une forme d’auto-censure, de me dire que je n’allais pas y arriver. Je n’avais pas la bonne distance. Il y a un couple de jeunes femmes dans La Nouvelle Eve, un élément dans La Répétition aussi. Là, je voulais montrer quelque chose de positif et de frontal. 

Je voulais du poil à la chatte

Est-ce qu’inconsciemment vous avez construit “La Belle Saison” en opposition à “La Vie d’Adèle” ?

Je me suis posé pas mal de questions, au sujet des scènes d’amour notamment. Je ne voulais pas qu’elles soient voyeuristes, je les voulais mêlées à la nature. On n’a pas l’impression que les femmes se pénétrent dans ce film, je voulais que dans le mien si. Avec les années 70, je ne voulais pas de corps fantasmés. Je voulais du poil sous les bras, du poil à la chatte. Il y avait un rapport à la nudité où les femmes ne voulaient pas correspondre à un stéréotype. A l’inverse de notre époque où les filles regardent parfois des films pornos pour satisfaire les désirs de leurs copains. C’est devenu très pervers. Là, les femmes étaient comme elles voulaient être. Pas des poupées, pas des objets. 

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Vous le voyez comme votre film le plus personnel ?

Je mets toujours beaucoup de moi dans chaque film, mais là c’était avec moins de filtre. Je ne suis pas paysanne, je n’ai pas vécu le féminisme. Mais c’était comme une première fois ce tournage. D’ailleurs, j’ai envoyé un mot à toute l’équipe juste avant en leur disant ça que ce film était important pour moi et la productrice Elizabeth Perez (ndlr : sa compagne dans la vie), et que je voulais le partager avec eux. Je le voulais sincère et vrai. 

En 2015, on arrive à monter un film comme celui-ci facilement ?

Oui, mais j’avoue que j’ai été vraiment surprise. Les financiers m’ont soutenu sur ce coup, alors que mon long-métrage précédent n’avait pas été un grand succès. Canal + a été dithyrambique sur le scénario, et fut le premier partenaire à nous suivre. France Télévisions a suivi. Après c’est vrai qu’on aurait voulu un budget un peu plus conséquent. Il y a des scènes de reconstitution que je voulais intégrer, dans les rues de Paris notamment. On a manqué de moyen, mais c’est paradoxalement le film pour lequel j’ai eu le plus de budget. On est à 4 millions.

La présence de Cécile de France a dû aider aussi, non ?

Je pense oui. Je leur ai donné le scénario avec le casting idéal que je souhaitais. J’avais vraiment écrit pour Cécile en tout cas. Son rôle était du sur-mesure. Elle s’est imposée à moi. Je l’avais déjà rencontrée pour d’autres films, et je trouvais à chaque fois que ça ne collait pas. Et puis là, elle m’a dit qu’elle ne pensait pas accepter parce qu’elle avait déjà joué pas mal de rôles de lesbiennes, mais après avoir lu le scénario elle m’a tout de suite appelée, elle a bondi de joie, elle m’a dit qu’elle avait adoré. Pour le rôle de Delphine, j’ai pensé dans un premier temps à Adèle Haenel, elle a dit oui puis s’est désistée. Le casting a été long, j’avais vu Izia au début, je la trouvais trop jeune, puis je me suis dit qu’elle était la seule à avoir cette énergie, naturelle, sans filtre. On a fait des essais avec Cécile et j’y ai cru. 

Le tournage a été dur pour Izia

Izia a déclaré après le tournage qu’elle avait été blessée, qu’il avait été difficile pour elle, ce premier premier rôle…

Le tournage a été dur pour elle, c’est vrai. Il y a eu deux choses : d’abord quand elle est chanteuse, c’est elle qui décide de tout. Donc que ce soit un metteur en scène qui l’oblige à faire des choses, ça n’est pas simple à gérer. Et puis il y a eu les scènes de nu. C’est quelque chose qu’elle a eu du mal à faire. C’était un combat entre elle et moi. Mais elles étaient importantes à mon sens. Cela dit, elle a peut-être le sentiment que je n’ai pas été honnête là-dessus car au départ, je ne pensais pas en faire autant. Mais la liberté qu’a apportée Cécile, le fait qu’elle n’ait aucun problème avec son corps, qu’elle se dénude facilement, ça racontait tellement quelque chose de l’époque, et puis cette beauté, cette grâce, se sont imposées. Izia est un peu bébé avec ça, mais c’est compliqué je le conçois. Quand on fait un film on est obsédé par le résultat que l’on veut obtenir, ça peut être violent pour les acteurs. Mais le résultat me confirme que j’ai eu raison !

Il y a peu de personnages masculins. Comment les avez-vous abordés ?

Je ne voulais pas qu’ils soient montrés comme des empêcheurs de tourner en rond. Je les voulais intelligents et compréhensifs, même blessés. Et je ne voulais pas que les filles aient toujours raison. Quand le petit ami de Cécile lui dit “Je t’ai aimé parce que tu étais indépendante. Et là je te découvre comme un petit chien qui tire la langue parce que tu es amoureuse !” c’est un peu violent mais il dit vrai. Il la bouscule et elle en a besoin. J’ai adoré travailler avec Benjamin Bellecour qui l’interprète, d’ailleurs.

Vous avez été nommée présidente de la Société des Réalisateurs de Film. Quels sont les objectifs que vous vous êtes fixés ?

Rendre possible tous ces premiers films qui sont difficiles à faire à cause d’une loi Européenne qui oblige à ce qu’il y ait un mélange de financements publics et privés, mais côté privé, les chaînes souvent se désistent. On voudrait une réglementation plus souple. C’est un combat compliqué. Le CNC est un peu lent à se bouger ces derniers temps. On est un peu comme les agriculteurs sur certaines règles : il faut qu’on arrive à montrer la spécificité d’un certain cinéma plus difficile mais qui est important. Et puis par ailleurs, on se doit d’être vigilants sur tout ce qui se passe, réagir tout de suite. Notamment sur l’éviction de Rodolphe Belmer de Canal +. On est inquiet sur ce qui va se passer. C’était un allié objectif, même si on s’est combattus parfois. On aussi le projet d’avoir notre salle de cinéma. Et on veut s’ouvrir à la nouvelle génération. 

Est-ce qu’il y a un combat autour des femmes au cinéma, des réalisatrices toujours moins nombreuses que les hommes ?

Déjà, on est deux co-présidentes. C’est bien ça ! Quand j’ai commencé ce métier, j’avais l’impression qu’il y avait une grande égalité. C’est avec le temps que je me suis rendue compte que ce n’était pas le cas. De ma génération de réalisatrices, beaucoup ont arrêté ou rencontrent de grosses difficultés pour faire leurs films, plus que les garçons. On aimerait qu’on ne réfléchisse plus en terme de sexe. Qu’il y ait des femmes cinéastes comme il y a des femmes médecins. Quant à l’homosexualité, on a l’impression qu’il n’y a pas d’acteurs et actrices qui assument leur homosexualité. Très peu sont outé ! On est encore très frileux et on a encore des idées très vieillottes. Les grands festivals sont tenus par des hommes, beaucoup de films sont vu du côté de la presse par un prisme masculin. Il faut que ces choses changent.

Quels sont vos derniers coups de coeur au cinéma ?

Comme un avion, de Bruno Podalydès. Je l’ai trouvé nostalgique, émouvant, très drôle, paradoxal comme lui. Je me suis laissée embarquée. Sinon j’ai beaucoup aimé Party Girl l’an dernier, et son personnage fascinant; et ceux de mes deux co-présidents : Dans la Cour de Pierre Salvadori et bien sûr Bande de filles de Céline Sciamma.

Propos recueillis par Jean-Maxime Renault le 7 Juillet 2015 à Paris