De Lupin à HPI en passant par En thérapie, les séries françaises ont fait un tabac en 2020-2021.« La dernière décennie a vu l’évolution de la “nouvelle vague française” à la télévision », estime la BBC.20 Minutes revient chaque jour de la semaine sur les grands succès français qui ont jalonnés l’année 2020-2021.

Bien avant Les Revenants  ou Le Bureau des légendes, Engrenages, première Création Originale de Canal+ dont le « Dernier chapitre » a été diffusé en France à l’automne 2020, a été la pionnière en matière de renouveau de la fiction hexagonale. Vendue dans près de soixante-dix pays, elle est à sa création en 2005, l’une des rares séries françaises à s’exporter.

Caroline Proust, inoubliable capitaine Laure Berthaud, est revenue pour 20 Minutes lors du Festival de Télévision de Monte-Carlo, sur cette série qui a bouleversé le monde des fictions made in France.

Aviez-vous pressenti le succès d’« Engrenages » quand vous avez découvert les premiers scénarios il y a une quinzaine d’années ?

Bien sûr ! (rires) Quand on lance quelque chose, on se dit : « Cela va être un immense succès », non ? Évidemment pas ! C’est une surprise géniale et surtout la surprise des Anglo-Saxons qui nous ont plébiscités instantanément. J’ai quand même fait ma première interview d’actrice d’une série pour le Times, j’ai eu un portrait dans le Guardian avant de l’avoir dans Le Monde et dans Libé ! Cette consécration anglo-saxonne était géniale !

Click Here: Spain football tracksuitPensez-vous qu’il y ait une forme de mépris de la presse française par rapport aux séries françaises ?

J’ai l’impression que nous sommes dans un pays où le succès n’est pas quelque chose qui est plébiscité. Quand on fait quelque chose qui fonctionne, quel que soit le métier – sur l’observation que j’ai des choses mais je crois que je ne me trompe pas – on a un peu du mal avec la reconnaissance du succès. Mais je veux spécifier que la presse française a été unanime en ce qui concerne Engrenages de la saison 1 à la saison 8, on a été encensé. Je parle du succès personnel, des portraits. Il y a une façon de faire très différente aux Etats-Unis et en Angleterre.

Comment analysez-vous le succès d’« Engrenages » ?

On avait la sensation d’être des pionniers. Canal+ nous a laissé la possibilité de faire des choses qui n’étaient pas autorisées sur les autres chaînes tant en termes de jeu que de scénario que de lumière. On a fait une image qui n’était pas glam, notamment pour mon personnage. Le personnage de Joséphine, interprété par Audrey Fleurot, était une avocate, donc elle présentait bien. Mon personnage, Laure, était une femme dans un monde d’hommes qui considérait qu’elle devait se fondre. Il ne fallait pas qu’elle soit sophistiquée du tout. Ce n’est pas dans ma nature de toute façon, d’être sophistiquée et donc le casting y a fait pour beaucoup.

C’est le concours de toutes ces choses-là qui a fabriqué et fait le succès de cette série. Et la complicité entre les acteurs, qui venaient d’un endroit qui s’appelle le théâtre, le plus bel endroit dont on puisse venir quand on est acteur et qui force l’humilité. Les acteurs de théâtre sont passionnés, ils ne font pas ce métier pour être à l’image. Quand j’ai commencé à être comédienne, je n’avais jamais pensé être un jour devant une caméra. Vraiment, quand je dis ça, c’est très sincère. La première fois que quelqu’un est venu, quand j’étais au conservatoire de Montpellier, cela m’a étonné. Je n’y avais pas pensé.

Comme vous le dites « Engrenages » a été une série pionnière, qu’est-ce qu’elle a apporté à l’histoire de la télévision française ?

Canal + était une chaîne pas comme les autres, sur laquelle une liberté était clairement visible, avec des programmes comme Nulle Part Ailleurs, les Nuls, ou encore Message à caractère informatif, un truc très improbable qui nous a fait hurler de rire. Canal+ était une chaîne très permissive, et quand ils se sont décidés à se lancer dans la série, on a eu la permission de faire des choses qu’on n’avait pas le droit de faire sur les autres chaînes. On avait vraiment des vétos sur les autres chaînes, moi j’ai travaillé à l’époque pour TF1, on devait dire « Halte là, chenapan ! », c’était écrit. On disait : « Non, si je joue cela, cela va être faux, cela ne marche pas ! » Et c’est là où Engrenages a changé les choses. Quand Audrey arrive, elle dit : « Je veux bien faire une série, mais laissez-moi la liberté de travailler sur les scénarios et de changer les dialogues si je vois que cela ne fonctionne pas ». Elle réussit à imposer cela. C’est Engrenages qui a permis qu’elle arrive à cela et c’est formidable. Avec Engrenages, on a compris que les acteurs n’étaient pas là pour tirer la couverture à eux mais pour être au service de la fabrication de la série. On a mis longtemps à comprendre cela, même au sein d’Engrenages, ce n’est qu’en saison 5 qu’on a commencé à travailler avec la scénariste Anne Landois, parce que Vassili Clert a dit : « Il faut faire comme font les Américains ». Et du coup, les scénaristes ont écrit la fiction en fonction des personnages.

Comment vivez-vous l’après « Engrenage ». Quand on a incarné un personnage comme Laure, aussi fort, passé par toutes ces montagnes russes d’émotion, qu’est-ce qu’il en reste ?

Oui, il reste quelque chose de Laure. Ce qui s’en va et me soulage, c’est cette inquiétude permanente. Le métier de policier est un métier très difficile, je l’ai éprouvé dans ma chair. C’est pour cela que j’ai fait ce documentaire, Engrenages dans la peau, parce que cela m’a un peu abîmé. Enfin, tous les personnages vous abîment à partir du moment où ce sont des personnages complexes, qui vivent des choses riches et que vous les interprétez comme si c’était vous, cela laisse des traces. Un personnage qui est policier, c’est difficile, parce que ce que voient les policiers est difficile. Donc, oui, cela laisse des traces. Mais ce qui est extraordinaire, c’est le retour et l’amour que j’ai grâce à ce personnage et cette série. C’est génial parce qu’en fait j’ai l’impression d’être comme un escargot, j’ai laissé une grosse trace derrière moi qui brille. C’est très agréable.

Et plein de gens ont profité du confinement pour rattraper « Engrenages » …

Il y a plein de gens qui ont découvert Engrenages pendant le confinement, oui. Je reçois des messages de gens qui sont super fans et me disent « merci ». Et même que cela les a carrément aidés. Alors, je me dis que c’est pour ça qu’on fait ce métier, qu’on fait du théâtre. On est là pour raconter des histoires et toucher les gens. Et avec Engrenages, on a vraiment réussi cela.

Est-ce qu’il y a une série française qui vous a touché pendant le confinement ?

J’ai vu En thérapie, j’ai adoré parce que là, tout repose sur le scénario et le jeu des acteurs. La réalisation est très simple. On revient au théâtre en fait. On est dans une économie de moyens. Je trouve que l’interprétation est très réussie. Ce n’est pas étonnant qu’elle ait eu autant de succès. HPI a aussi eu un succès phénoménal, tous les ingrédients sont là et cela fonctionne très bien. J’ai discuté avec Audrey hier qui m’a dit qu’elle s’est beaucoup mêlé de l’écriture. Je trouve cela formidable qu’on fasse confiance aux acteurs et qu’on voit ce que cela donne. Elle n’y est vraiment pas pour rien dans ce succès. L’ingrédient de la super-pépé qui passe l’aspirateur en talons de 12 cm, je n’y crois pas du tout, mais ce n’est pas grave, on est dans une fiction qui fait rêver. C’est formidable.

Vos projets après « Engrenages » ?

En tant qu’actrice, je tourne une série pour Netflix, Notre-Dame, la part du feu [série qui reviendra sur l’incendie qui a touché la cathédrale en avril 2019]. Je suis très heureuse de ce projet parce que mes partenaires sont formidables, tout comme le metteur en scène. C’est tout à fait prometteur. Sinon, je suis une apprentie productrice et je suis en train de développer une minisérie pour laquelle je vais chercher un diffuseur. J’ai coréalisé un court métrage avec Etienne Saldés, qui est en train de concourir dans la Short Film Gallery pour Unifrance. Donc, je suis très contente.

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