Keith Richards vient de sortir un nouvel album solo. Zoom sur les us et coutumes de ce baron noir de la cinq cordes.

Le rideau peut se lever. Alors que son album solo Crosseyed Heart est dans les bacs, le guitariste des Rolling Stones Keith Richards endosse une énième fois son costume de prince des trompe-la-mort. Les sceptres, diadèmes et autres épées d’apparat de ce fils d’ouvrier? Un clope au bec, une bouteille de bourbon entamée à portée de main, des bracelets, des bagouzes tête de mort, et la guitare en bandoulière, bien sûr. Autant de signes distinctifs de son statut de rock star, un terme devenu avec le temps un authentique signe de noblesse.

Keith Richards, soixante et onze ans, fait en effet partie d’une aristocratie qu’il a créée de toutes pièces, en compagnie de quelques autres. « Ces artistes partis de rien sont devenus des demi-dieux pour un très large public, partout dans le monde », assure Philippe Manœuvre, rédacteur en chef du magazine Rock & Folk. Dans ce club très fermé, ils ne sont pas très nombreux.

Tentons de les énumérer : Paul McCartney, Mick Jagger, Eric Clapton, Robert Plant et Jimmy Page de Led Zeppelin, Marianne Faithfull, Roger Daltrey et Pete Townshend des Who, le guitariste Jeff Beck, Rod Stewart… « Il ne faut surtout pas oublier Bob Dylan et Neil Young. Ni Johnny Hallyday, le seul Français de la bande », ajoute Manœuvre. Ainsi, cette grosse poignée de personnalités, toutes issues de la scène musicale du début des années soixante, fait partie d’une sorte de monarchie occulte du rock officiellement anoblie ou pas, c’est selon.

Si Mick Jagger a obtenu son titre de chevalier en 2003, ce n’est pas le genre de Keith Richards. Il avait alors déclaré qu’il considérait « ridicule d’accepter une récompense de l’establishment, alors qu’ils ont tout fait pour nous envoyer en prison ». En 1967, plus précisément pour consommation de drogues. Et, contrairement à Jagger, on ne lui a jamais rien proposé de tel.

Un brin jaloux, Keith? Peut-être. De fait, le guitariste cultive en public et en musique un personnage de révolutionnaire buriné, tout en menant un style de vie de monarque d’Ancien Régime. « Ça fait des lustres qu’il a un assistant pour lui remplir son briquet ou pour appuyer sur le bouton de l’ascenseur », s’amuse Philippe Manœuvre.

Ce plaisant paradoxe date de cette fin des années soixante où les Stones détournaient le style des lords anglais à grands coups de bottines, de foulards et de chemises à jabots, offrant à contempler un négatif décadent de la Grande-Bretagne engoncée dans ses traditions. « Le plus amusant, c’est que l’aristocratie anglaise – à l’image de la famille Guinness – a toujours recherché leur compagnie, et la plupart d’entre eux sont devenus de vrais amis des Rolling Stones », sourit le rédacteur en chef.

A cette époque, Keith Richards roule en Bentley Continental Flying Spur, le noble véhicule britannique par excellence dans laquelle il descendait de Londres jusqu’au Maroc. « Posséder cette voiture, c’était déjà aller au-devant des ennuis, briser les règles. Conduire une voiture pour laquelle je n’étais pas né », expliquait-il, non sans fierté, dans son autobiographie Life (Robert Laffont), parue en 2010.

Si cet ancien pauvre considère les signes extérieurs de richesse comme une sorte de revanche, ça ne l’empêche pas d’aimer les belles bagnoles: il a ainsi conduit une Ferrari Dino, une Pontiac des années cinquante qu’il utilisait sur la Côte d’Azur pour rejoindre le port de Menton et embarquer sur son Riva, Mandrax, son hors-bord en acajou. Un bel objet connoté jet-set, certes, mais détourné à sa façon, baptisé du nom de l’une de ses drogues chimiques favorites.

Quant à son entourage… « Keith Richards est un roi plutôt solitaire, sans vraie cour autour de lui, ajoute Philippe Manœuvre. Parfois, il y a une bande dans sa loge qui le distrait en tournée, ses gosses, son dealeur… Ses seuls vrais amis dans le showbiz sont les acteurs Jack Nicholson et Johnny Depp. Il était également très pote avec le journaliste écrivain Hunter S. Thompson, mort en 2005. »

Sans cesse en vadrouille à travers le monde, il aime se poser. Pour cela, il possède depuis 1966 un manoir élisabéthain dans la campagne anglaise, un vaste domaine aux Etats-Unis dans le Connecticut, une propriété en Jamaïque et un logement parisien. Ses rares excentricités? Des pièces conçues spécialement pour ranger ses guitares, et des meubles avec des poignées en tête de mort, qu’il a fait construire sur mesure. Keith Richards est également propriétaire d’un appartement à New York, dans lequel Philippe Manœuvre lui a rendu visite. Il raconte: « En arrivant avec le photographe Claude Gassian, on a remarqué un mur de caisse de Jack Daniel’s dans l’entrée. On s’est dit que c’était juste là pour qu’il soit sûr de ne jamais manquer de bourbon, si jamais l’envie lui en prenait la nuit… »

Reste une dynastie à l’abri pour plusieurs générations, dans la mesure où le guitariste des Stones s’est considérablement enrichi ces dix dernières années grâce à des tournées aux prix de places très élevés. Et, avec quatre enfants au compteur et cinq petits-enfants, la descendance de Keith Richards est assurée.

Nées de son mariage avec le top américain Patti Hansen au début des années quatre-vingt, ses deux filles cadettes Theodora, trente ans, et Alexandra, vingt-neuf ans, font depuis leur adolescence les couvertures des magazines de mode les plus prestigieux, devenues presque automatiquement les égéries des plus grandes marques.

Ainsi, elles font parties du club très fermé des filles de rock stars qui font des carrières de mannequins, de créatrices voire d’actrices, à l’image de Liv Tyler, Stella McCartney, Zoë Kravitz, Elizabeth et Georgia May Jagger ou encore Lily Collins et Laura Smet. Des jobs décrochés grâce à leur plastique et à leur talent, certes, mais aussi grâce à l’inestimable part de fantasme véhiculée par le patronyme de leur paternel. « Elles apportent un petit plus, on est toujours content de les voir grandir. Et leurs parents sont vraiment méritants, ils n’ont jamais cessé de bosser et d’avoir du succès », assure Philippe Manœuvre.

De sa liaison placée sous le signe du pavot avec le mannequin italien Anita Pallenberg, Keith Richards a eu deux autres enfants au début des années soixante-dix: Marlon, quarante-six ans, et Angela, quarante-trois ans.

Cette dernière, une passionnée de chevaux élevée par sa grand-mère paternelle, est très loin des lumières du showbiz. Quant à son grand frère Marlon, graphiste, il est marié à la française Lucie de La Falaise, nièce de Loulou, l’ex-égérie d’Yves Saint Laurent. Leur grande fille Ella Rose est âgée de dix-neuf ans. Elle est également mannequin, telle la parfaite incarnation d’une lignée où la noblesse la plus authentique, la mode et une aristocratie forgée à la seule force du poignet s’entrechoquent, en parfaite harmonie. Une petite fille fière de son grand-père, un flibustier définitivement de très haut vol.

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